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Roméo ne mourra jamais
Roméo ne mourra jamais
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19 décembre 2006

4

Je suis assise devant mon miroir. Il est parfaitement transparent. Je contemple mon reflet. Je porte une longue robe noire. Un jupon blanc en dépasse. Le corset me serre la taille. Je suis belle. Je m'approche du miroir. Mais mon reflet s'estompe. Je veux lui crier de revenir. Impossible. Le reflet a disparu. Le miroir est vide. Alors les larmes viennent.

Sarah ouvrit les yeux. La chambre d'hôtel était plongée dans l'obscrurité. En face d'elle, dans l'autre lit, Solène était plongée dans un profond sommeil. Sarah s'assit dans son lit. Elle s'essuya les yeux et réalisa qu'elle tremblait. Elle se leva, alla à la salle de bain, ferma la porte et alluma la lumière au-dessus du miroir. Elle contempla son reflet: elle pleurait encore. Les larmes coulaient d'elles-mêmes. Elle posa la main contre la surface froide du miroir, fixant son image. Celle-ci, au moins, ne disparaissait pas. Elle s'empara d'un mouchoir et s'essuya les yeux, tentant de se calmer.

Elle revint dans la chambre. Le réveil indiquait cinq heures trente. Renonçant au sommeil, elle prépara ses affaires pour aller prendre une douche.

Quatre heures plus tard, Sarah et Solène arpentaient un musée de Vérone. Sarah étant la plus studieuse, elle était chargée de la prise des notes et de la documentation. Heureusement, toutes les indications étaient inscrites en italien et en anglais, et Sarah se débrouillaient plutôt bien en anglais. Solène, elle, se promenait dans toutes les pièces en prenant des photos sans flash et demandant des renseignements en italien à tous les guides qu'elle croisait.
Sarah avait posé sur son nez les lunettes rectangulaires qu'elle ne mettait que pour lire et travailler. Penchée en avant, elle déchiffrait l'inscription anglaise sous un tableau. Quand ce fut fait, elle se redressa. La peinture était magnifique. Figurant Vénus, elle datait de la Renaissance mais son effet n'avait rien souffert des siècles passéss. Sarah ôta ses lunettes et recula pour mieux admirer l'oeuvre, serrant contre elle son dossier de documentation. Elle recula et percuta quelqu'un. Ses documents lui échappèrent des mains et allèrent se répandre sur le sol dans un bruissement de papier qui parut cacophonique dans le silence du musée. Plusieurs personnes se retournèrent.
- Excusez-moi, bedouilla-t-elle, en se jetant à terre pour ramasser ses affaires.
La personne qu'elle avait percuté se baissa pour l'aider.
- Scusi...
Elle connaissait cette voix. Elle leva les yeux et se retrouva nez à nez avec le jeune homme de la veille. Il la reconnut à cet instant.
- Hé! Bonjour.
- Bonjour, murmura-t-elle, un peu intimidée.
Sous la lumière crue du musée, il était encore plus séduisant. Il lui tendit ses papiers qu'elle rassembla. Ils se relevèrent.
- Je suis désolée, dit-elle, je ne regardais pas où j'allais.
- Il n'y a pas de mal. Et puis, sans cela, nous ne nous serions pas vus. On dirait que nous sommes destinés à nous croiser.
- On dirait, dit-elle en rangeant ses lunettes dans son sac.
- Dans ce cas, ne luttons pas contre le destin, reprit-il, toujours souriant. Je m'appelle Antonio Costarini.
- Sarah. Sarah Angelier.
- Ca vous va bien.
Que voulait-il dire?
- Vous vous intéressez à l'art? demanda-t-il.
- En fait, je suis ici avec ma classe mais oui, un peu. J'admire.
- Vous avez raison. Mais celle-ci n'est pas la plus belle. Venez, je vais vous montrer quelque chose.
- Heu...
Elle tourna la tête. De l'autre côté de la salle, elle aperçut Solène, en grande conversation avec un employé du musée. Elle vit aussi Mme Vallin, qui surveillait son troupeau d'élèves. Il remarqua son hésitation.
- Pardon, vous me connaissez à peine, vous avez toutes les raisons de vous méfier de moi.
- Ce n'est pas ça, l'interrompit-elle.
Elle désigna Mme Vallin du doigt en lui expliquant de qui il s'agissait.
- Je risque des ennuis si je pars sans rien dire. Et elle ne me permettra jamais de vous suivre.
- Ca ne coûte rien de demander. On peut peut-être présenter les choses de façon à ce qu'elle ne puisse pas refuser.
- Vous êtes en train de me conseiller d'embobiner ma prof? Ce n'est pas très sérieux, ça.
- J'ai vraiment envie de vous montrer ce tableau, Sarah. Pour que vous ne soyiez pas venue pour rien.

Il la fixait de ses yeux noirs avec un léger sourire. Elle baissa les yeux.

- Je vais voir ce que je peux faire.

- C'est dans la quatrième salle. Dites-le lui.

Elle s'éloigna dans la foule. Ce type était vraiment sympathique. Mais elle se rappela ce que lui avait dit Solène. Les Italiens sont dragueurs, ce n'est pas qu'un cliché. Et alors? pensa-t-elle. Après tout, c'étais plutôt flatteur.

- Excusez-moi, Mme Vallin?

-Oui, Sarah?

- Un connaisseur me propose de me montrer les peintures de la quatrième salle. Ce sont les plus intéressantes. J'ai déjà bien vu cette salle. Puis-je y aller?

Mme Vallin la regarda, soupçonneuse.

- Vous voudriez que je vous laisse partir seule avec un inconnu dans une autre salle?

- Pas seule: il y a les gardes du musée. Ca m'aiderait beaucoup pour notre dossier.

L'expression de Mme Vallin changea du tout au tout. Elle parut soudain très emballée.

- Entendu. Mais attendez-nous là-bas.

-D'accord.

Sarah n'en revenait pas. Elle retourna près d'Antonio Costarini.

- Elle a accepté! Je n'en reviens pas!

- C'est parfait. Allons-y.

Il se détournait déjà. Elle le rappela.

- Monsieur Costarini!

Il la regarda avec un sourire amusé.

- Antonio.

- Antonio, répéta-t-elle, docile. Je dois prévenir mon amie, Solène. Sinon, elle va me chercher partout.

Il leva les yeux au ciel.

- Vous pensez beaucoup trop aux autres, Sarah.

-Je...

Encore une fois, elle ne comprenait pas.

- Allons-y, murmura-t-elle.

Elle le suivit jusqu'à la salle n°4, les yeux fixés sur ses cheveux noirs qui dansaient dans sa nuque au rythme de ses pas.

La salle était assez petite. Il y avait moins de monde, quatre ou cinq personnes. Antonio y entra, s'arrêta pour l'attendre.

- Nous y sommes, dit-il à voix basse.

Sarah avança dans la pièce. Les tableaux dataient du milieu du XVIème siècle.

- Il y en a deux surtout que je souhaite vous montrer, reprit Antonio. Venez.

- Vous avez l'air de connaître le musée par coeur.

- Un amateur d'art se sent comme chez lui, ici. Le musée est ma deuxième maison.

- Vous vous y sentez bien?

- C'est ça. Le premier, c'est celui-ci.

Il l'entraîna vers le coin ouest de la salle. Sur le mur, un portrait. Un jeune homme, un aristocrate visiblement. Vêtu de noir, un livre à la main. Sur fond gris.

- Magnifique, murmura-t-elle.

C'était vrai. La peinture dégageait un charme ténébreux, tout comme le personnage qui y était représenté.

- Regardez, Sarah.

- Je regarde.

- Non, vous ne regardez pas correctement. Vous êtes déjà prête à passer au tableau suivant alors que vous n'avez rien vu de celui-ci. Je vais vous montrer.

Elle fronça les sourcils.

- Me montrer quoi?

- Ce qu'il y a à voir.

Il s'approcha d'elle, sans la toucher, mais suffisamment pour lui chuchoter à l'oreille.

- Je veux que vous regardiez chaque détail. Commencez par sa main.

- Celle qui tient le livre?

- Par exemple. Qu'est-ce que cela vous évoque?

Sarah plissa les yeux. La main tenait le livre fermé, debout sur la tranche, mais l'index était glissé entre les pages.

- On dirait qu'il a été interrompu dans sa lecture... murmura-t-elle.

- Exact. Quoi d'autre?

- La posture du poignet. Comme... un noble, avec des bonnes manières , un érudit.

- Continuez.

Antonio était si proche qu'elle sentait son souffle contre son oreille. Mais elle était absorbée dans l'étude du tableau.

- C'est étrange, cette chevalière au petit doigt.

- Son coeur doit être pris.

- Ses cheveux sont blonds mais ses yeux sont si noirs!

- Que vous disent-ils, ses yeux?

- Il est fier, supérieur. Détaché aussi. Raffiné. Mais si sombre! Mais il y a de la lumière, là, sur le livre, à gauche. Rouge. C'est la seule tache de couleur du tableau.

- Couleur vivante.

- Il y a la porte qui est éclairée, derrière, aussi.

- Quel effet vous fait ce tableau?

- Sombre. Enfermé. La lumière est sur la porte.

Sarah s'arrêta, le regard fixé sur le tableau. Elle l'avait observé dans ses moindres détails, il était presque vivant pour elle. Elle s'attendait à voir jaillir le jeune homme du cadre, le voir tendre vers elle ses mains d'aristocrate.

Antonio ne disait plus rien. Il fixait le tableau, lui aussi, les yeux mi-clos. Il semblait perdu dans ses pensées. Elle patientait, sagement, ses documents toujours serrés contre sa poitrine, lorsqu'il reprit la parole.

- J'ai ressenti la même chose que toi la première fois qu'on m'a montré ce tableau.

Il avait dit cela sans la regarder, le regard fixé sur la peinture. Elle ne releva pas ce tutoiement soudain. Il sembla alors sortir de sa rêverie, la regarda et sourit.

- Je suis impressionné. Pour quelqu'un qui ne savait pas regarder, vous avez vu beaucoup de choses.

- Et c'est bien?

- Disons que cela peut vous apporter beaucoup. Si nous passions au tableau suivant?

Elle acquiesça avec un sourire. Antonio avait gagné une part de sa confiance. Comme lui, elle fit un quart de tour sur la gauche. Le second tableau était aussi un portrait. Une jeune femme cette fois-ci. Sarah fut tout d'abord subjuguée par sa beauté. Son teint était diaphane, laiteux, rose au niveau des pommettes. Ses yeux étaient d'un vert lumineux. Ses cheveux d'un noir de jais étaient attachés dans sa nuque en un chignon compliqué tressé de perles et de bijoux. De lourdes breloques d'or pendaient à ses oreilles, son cou et ses poignets.

- Elle est magnifique...

- Vous avez déjà dit cela de l'autre tableau avant de l'avoir regardé.

- Vous voulez que je vous dise aussi ce que je vois dans celle-ci?

- Dites-moi.

Le fond était bleu marine. La jeune femme portait une robe noire. Contrairement au jeune homme du tableau précédent, elle respirait le calme, la tranquillité.

- Elle est sereine.

- Vous croyez?

Elle baissa la tête, un peu honteuse.

- Je la trouve magnifique, reprit Antonio. Je viens souvent la voir. Mais je ne parviens pas à la comprendre. Peut-être y réussirez-vous.

Le tableau était très sombre. Le visage de la femme se détachait, presque fantômatique. Une main blanche reposait sur les volants de la robe.

- Elle est morte, murmura Sarah.

- Evidemment! Ce tableau date du XVIème siècle.

- Non, je veux dire qu'elle a l'air morte sur ce tableau.

Antonio fit un pas vers le tableau pour l'observer un peu mieux.

- Vous avez raison, dit-il d'une voix à peine audible.

Il scruta la toile quelques minutes encore. Puis il reporta son attention sur Sarah.

- Je vous remercie.

- C'est à moi de vous remercier de m'avoir montré ces toiles. Sans vous, je ne les aurais pas vues de la même façon.

-Probablement.

Sarah sentit une question lui brûler les lèvres.

- Et vous? demanda-t-elle, surprise de sa propre audace. Que ressentez-vous en la regardant?

- Moi?

Antonio revint se placer près d'elle, sans quitter le tableau des yeux.

- Je la trouve belle. Belle à en mourir. Ce qui expliquerait bien des choses.

En silence, ils contemplèrent la jeune femme du tableau. Sarah sentit Antonio murmurer à son oreille.

- Je dois m'en aller. J'ai été heureux de vous revoir, Sarah.

- Moi aussi.

- Elle vous ressemble, souffla-t-il.

Sarah aurait voulu se tourner pour lui demander ce qu'il avait voulu dire, mais il était déjà parti. Elle resta donc là, à regarder la jeune fille peinte, jusqu'à l'arrivée de sa classe. Solène se jeta sur elle.

- Où étais-tu passée?

- J'ai revu le type d'hier soir.

- Ton bel inconnu?

- Oui, il s'appelle Antonio. Il m'a emmenée ici voir ces deux tableaux.

- Et tu l'as suivie? Est-ce que tu es folle?

- Non. Il ne m'est rien arrivé, tu vois bien.

Sarah regarda à nouveau la jeune fille du tableau et ses yeux s'agrandirent du stupeur. Comment n'avait-elle pas remarqué cela?

La robe, pensa-t-elle. Elle porte la robe de mon rêve.

 

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Commentaires
B
Toujours aussi bien!<br /> Vivement la suite de la description du tableau (et de l'histoire en général).<br /> C'est toujours très prenant :D <br /> Bravo et merci, et bonne continuation!!
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