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Roméo ne mourra jamais

Roméo ne mourra jamais
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9 janvier 2007

Post Sriptum

Un hommage à Lisa Jane Smith et à ses Vampires italiens.
Une profonde admiration à Anne Rice, toujours.
Et un grand merci à vous si vous êtes arrivé jusque là!

Merci à ceux qui ont laissé des commentaires, c'est vraiment très gentil à vous! Je mettrai sous peu dans un autre blog une autre nouvelle ainsi qu'une série avec des personnages qui me tiennent à coeur. Je vous tiens au courant!

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9 janvier 2007

14

"Vendredi 2 mai,
Ma chère Lola,
Notre voyage se termine. Demain, je repars pour la France. La famille d'accueil a été formidable. Pour être honnête, ces derniers jours m'ont parus complètement mornes. Je me suis disputée avec Solène. J'ai l'impression que ça ne sera plus jamais comme avant, avec elle.
J'ai cessé de faire ce rêve étrange. Heureusement. Je crois que ça avait un rapport avec Antonio. Maintenant, je ne le reverrai plus.
J'ai perdu mon pentacle. Voudras-tu m'accompagner pour en acheter un autre? Je ne sais pas où il a pu passer, je le laisse toujours dans mon sac. Je me sens un peu démunie sans lui.
Je t'embrasse fort. Je t'appelle dès mon arrivée.
Sarah."

Sarah se réveilla au milieu de la nuit. Solène dormait profondément. La fenetre ouverte laissait entrer un souffle imperceptible d'un vent encore chaud pour l'heure. L'air embaumait de toutes les fleurs qui ornaient les balcons. Elle se surprit à beaucoup aimer ce moment privilégié.
Elle remarqua alors quelque chose qui n'était pas là lorsqu'elle s'était couchée. Sur la table de chevet. Une feuille de papier était posée, éclairée par un rayon de lune. Un bijou était posé dessus, sa chaîne soigneusement enroulée. Sarah la fit tourner entre ses doigts. Son pentacle. Elle sourit. Elle s'attarda alors sur la feuille de papier. C'était elle. un portrait exécuté par un trait de fusain délicat. Un portrait d'elle endormie. Au bas de la feuille, deux petits mots écrits d'une main raffinée:
"Sans rancune?"

9 janvier 2007

13

- Sarah... murmura Antonio.
Sarah fit volte-face et recula précipitamment, toujours au sol.
- Attend, laisse-moi t'expliquer.
- Tu dois me tuer, je dois me défendre, c'est très clair.
- Je ne veux pas te tuer.
- Et qu'as-tu essayé de faire à l'instant?
- Te protéger.
Sarah eut un rire nerveux.
- Je t'assure. Lisa ne t'aurait jamais épargnée. Elle t'aurait égorgée de ses mains.
- Lisa est aussi une...
- Oui. C'est ma créatrice.
- Je vois.
Antonio ne semblait plus belliqueux. Quelque chose de faible émanait de lui. Il fit un pas vers elle. Elle se crispa puis le laissa doucement approcher, prête à réagir. Il tendit doucement sa longue main blanche et fine et lui effleura le menton pour lui soulever la tête. Il examina quelques secondes les deux plaies dans son cou.
- Tu t'en remettras très vite, observa-t-il.
- Pourquoi moi? murmura-t-elle. Que me veux-tu?
- Tu es particulièrement perspicace. Tu te rappelles les tableaux au musée? Ca devrait t'aider à évaluer mon âge.
- Mon Dieu, murmura Sarah.
Tout son rêve lui revint en tête.
- La femme du tableau, c'était ma mère. Elle est morte avant que tout ceci n'arrive. Paix à son âme, elle n'aura pas assisté à ces horreurs.
Il ferma les yeux.
- J'ai vu mourir tous ceux que j'aimais. Nous ne sommes pas si nombreux sur terre. Je me suis retrouvé seul. C'est probablement aussi par solitude que Lisa m'a choisi. Elle voulait quelqu'un comme elle. Mais elle est aigrie. Elle s'est désinteressée des humains. J'aimerais ne jamais en arriver là.
Il eut un petit rire.
- Ma nostalgie me perdra.
- Tu ne l'aimes pas beaucoup, cette Lisa.
- Je la hais.
- Tu pourrais la tuer, lança Sarah dans un élan de provocation.
- Je ne suis pas comme elle. Et que je le veuille ou non, c'est peut-être la seule qui sera toujours là. Un peu comme ma seule famille. Je ne peux pas la tuer.
Sarah se rendit compte qu'elle devrait fuir. Elle esquissa un pas vers l'escalier.
- Tu ne peux pas partir, dit tranquillement Antonio. Maintenant que tu sais, tu ne peux pas.
Sarah ne sut pas si cette phrase était une menace ou une supplication.
- Il est trop tard.
Très loin, Sarah entendit la porte d'entrée claquer. Un silence interminable s'ensuivit.
- Elle a mangé, dit simplement Antonio.
Une Lisa méconnaissabe apparut au pied de l'escalier. Sarah lui fit face, décidée à se défendre.
- Antonio est faible de t'avoir laissé la vie. Je sais ce qu'il veut faire de toi.
Sarah coula un regard vers Antonio. Il s'était détourné. Cette fois, il ne la défendrait pas.
- Cela dit, reprit Lisa, je comprends pourquoi il t'a choisie. Serais-tu donc si naïve? ajouta-t-elle en voyant l'expression de surprise de Sarah. Tu le fascines et il veut te garder pour toujours. Il a essayé de me faire passer pour la méchante. Ne sois pas trop dure, Sarah, ce que nous faisons n'est ni bien ni mal, c'est juste logique. Antonio veut me remplacer. Il veut une semblable, comme nous tous.
Sarah comprit. En restant pour écouter l'histoire d'Antonio, elle s'était elle-même condamnée. Antonio n'avait plus qu'à laisser Lisa la tuer ou à  intervenir pour la sauver. Toute autre issue était inconcevable.
- Ce que je ne comprends pas, continuait Lisa, c'est que tu ne l'aies pas tuée. Tu es prêt à la laisser partir. Qu'est-ce qui te prend?
Sarah profita de cet instant de distraction pour s'élancer vers la porte. Lisa l'intercepta en la ceinturant. Elle fut projetée à terre. Elle entendit Antonio crier. Elle ouvrit les yeux pour voir Lisa le frapper. Puis Lisa se précipita sur elle. Elle ferma les yeux le plus fort qu'elle put, se concentra au maximum et pria.

L'énergie afflua.

Derrière ses paupières, elle vit un cercle lumineux se tracer, elle sentit le haut de son crâne fourmiller, le bruissement se répandre jusqu'au bout de ses doigts.

Sa peau se mit à irradier, elle sentit chaque fibre de ses vêtements le long de ses membres, chaque pore qui s'ouvrait pour laisser circuler le fluide psychique qu'elle projeta autour d'elle sans chercher à le contrôler.

De très loin, elle entendit ce qui se passait à l'extérieur de son cercle. Un bruit sourd, mou. Un cri d'Antonio. Un choc. Des bruissements. Puis plus rien.

Lentement, elle ouvrit les yeux.
Devant elle, gisait la toile peinte par Antonio. Son propre visage la fixait avec une sérénité déplacée. Et un peu plus loin, le chevalet. Un des pieds était planté dans la poitrine de Lisa et l'avait traversée de part en part. Elle était figée, telle une statue de cire, les membres retombant en une attitude grotesque. Antonio s'approcha lentement, complètement abasourdi.
-Elle est morte, murmura-t-il.
Il ne quittait pas Lisa des yeux. Sarah se leva. Elle n'osait pas bouger. Elle finit par faire quelques pas, puis partit presque en courant vers l'escalier. Elle s'immobilisa sur la première marche et se retourna. Antonio ne l'avait pas suivie. Il s'était contenté de lever la tête. Son regard était changeant. Ils se regardèrent quelques secondes interminables, puis Antonio se détourna et s'agenouilla près du corps de Lisa. Sarah gravit les escaliers en courant.

9 janvier 2007

12

Solène ne lui adressait plus la parole. Elle l'évitait. Elle ne remonta pas dans la chambre après le dîner. Très anxieuse, Sarah se prépara à sortir, nerveuse de ne pas avoir son sac pour se donner une contenance, puis, les jambes tremblantes, elle quitta l'hôtel.

De loin, elle aperçut le lieu du rendez-vous, désert. Soulagée. Mais elle espérait qu'il viendrait. Elle s'adossa au mur et attendit.

- Bonsoir.

Elle avait sursauté. Elle ne l'avait pas entendu arriver. Il ne semblait pas en colère. Il ne semblait pas ravi non plus.

- Bonsoir... répondit-elle.

- Ainsi c'est elle!

Une voix féminine, avec un léger accent italien, avait surgi de l'obscurité. Une jeune femme. Elle avait l'air très belle, autant que la pénombre permettait d'en juger. Ses cheveux blonds-roux étaient attachés dans sa nuque. Elle souriait.

Antonio sembla surpris et agacé. Il lui adressa une phrase en italien dont les accents n'avaient rien d'agréable. Elle répondit:

- Parle en français, veux-tu donc exclure notre amie?

Elle se tourna vers Sarah.

- Je l'appelle Lisa, je suis une amie d'Antonio.

Sarah n'eut pas le temps de répondre. Antonio avait saisit le bras de Lisa et l'avait écartée avec une violence dont l'Italienne ne sembla pas se formaliser. Sa voix était dure. Le ton monta rapidement et quoi que Sarah ne comprenne pas un traître mot de ce qu'ils se disaient, elle se sentit vite très mal à l'aise.

- Je ferais mieux de m'en aller, dit-elle, hésitante.

Antonio tourna vers elle un regard qu'elle ne put déchiffrer. Lisa sourit:

- Je ne crois pas que ça dépende de vous.

- Pardon?

- Lisa... murmura Antonio.

- Je crois que c'est moi qui vais m'en aller, répondit-elle. Je tombe au mauvais moment. Antonio, nous nous verrons... plus tard. Ravie d'avoir fait votre connaissance.

Lisa disparut. Sarah reprit vite contenance.

- Qu'a-t-elle voulu dire? Qui est-ce?

Il se tourna lentement vers elle.

- Tu ne crois pas que c'est à moi de poser les questions?

Il lui tendit un objet. Son sac. Elle pâlit.

- Ah... merci.

Elle le passa à son épaule. Il la regardait.

- Tu cherchais quelque chose de particulier?

- Quoi? Pas du tout!

-Alors tu voulais juste visiter.

-Je suis désolée, je te cherchais, la porte était ouverte...

- Donc tu es entrée et tu as fait comme chez toi.

- Non, dit-elle en cherchant desepérément quoi dire pour se justifier. Je me suis dit que si tu étais dans la cave, tu ne pouvais pas m'entendre sonner.

- Et tu ne t'es pas demandé si je voulais être dérangé?

- Excuse-moi, je ne voulais pas te mettre en colère.

Sarah tremblait de tous ses membres.

- J'espérais que ces dessins resteraient secrets.

Il semblait moins en colère.

- Pourquoi me dessines-tu?

- Parce que tu es belle.

Sarah ne s'attendait pas à cette réponse.

- Pourquoi ne me l'as-tu pas dit?

- Je n'en voyais pas l'intérêt. Tu ne l'aurais jamais su.

- Mais que vas-tu faire de ce tableau?

- Rien. Le garder. Que veux-tu que j'en fasse? J'aurai quelque chose de beau chez moi et voilà tout.

Sarah baissa la tête. Quelque chose sonnait faux.

- Pardonne-moi, murmura-t-elle.

-Il est presque terminé maintenant. Tu veux le voir?

Il souriait maintenant.

-D'accord.

Antonio lui prit la main. Elle ne voulait plus savoir si ce qu'elle faisait était bien ou mal.

En entrant dans l'appartement, Sarah remarqua immédiatement que la porte de la cave était grande ouverte, ce qui lui ôtait tout mystère. Toutes les chandelles de l'escalier était allumées.

- Cette pièce est la plus ancienne de la maison, expliqua Antonio. Une sorte de pièce secrète, probablement.

Il la conduisit jusqu'au tableau. C'était bien elle, et en même temps ce n'était pas elle. Elle était peinte en vénitienne. Son tent semblait trop pâle. Son regard était lointain.

- C'est manifique.

- Quel artiste! lança une voix derrière eux.

Antonio eut l'air exaspéré.

- Encore toi?

- Tu n'as pas l'air content de me voir, dit Lisa.

- Je devrais? Je ne t'ai pas autorisé à entrer, il me semble.

- D'après ce que je sais, on entre chez toi comme dans un moulin.

Sarah se fit toute petite. Elle avait l'impression qu'ils allaient s'entretuer. Le sourire de Lisa disparut.

- Je me demande ce que tu lui trouves.

- Ca ne te regarde pas.

- Oh que si, ça me regarde. Cette fille n'est pas claire.

- Comment? s'écria Sarah.

- Je vais t'en débarrasser et tu me remercieras, reprit Lisa avec désinvolture.

Elle fit un pas vers Sarah. Mais Antonio réagit à une vitesse incroyable. Il saisit le bras de Sarah et la tira vers lui. Il lui serrait le poignet, trop fort. Elle gémit. Elle crut entendre dans sa tête la voix de Solène prononcer les mots de "dangereux psychopathe".

- Elle est à moi, articula Antonio.

- C'est donc ça que tu veux? ironisa Lisa. Te réserver de jolies innocentes comme un héros de roman gothique à la manque? Ca devient pathétique.

- Au moins, j'ai du goût, rétorqua-t-il. C'est pour cela que tu n'aurais pas dû entrer chez moi.

Avec un grognement, Lisa s'élança vers eux mais Antonio la repoussa de son bras libre. Elle vacilla. Sarah osait à peine respirer.

- Elle est à moi, tu as entendu?

Et pour appuyer ses paroles, il planta ses dents dans la gorge de Sarah, sous les éclats de rire de Lisa.

Sarah poussa un cri en sentant les canines s'enfoncer dans sa chair. Un vampire. Ils existaient donc! Quelle idiote! Elle s'était fait manipuler et mordre par un vampire. Elle ne l'avait même pas démasqué, elle qui prétendait être une magicienne. C'était trop tard. Elle sentait qu'Antonio aspirai son sang à toute vitesse, elle le sentait fuir de ses veines. Bientôt, elle allait perdre ses forces.

Quelque chose d'inattendu se passa alors. Antonio cessa de boire. Il tenta brièvement de reprendre, mais il semblait ne plus y arriver. Il s'écarta brusquement d'elle, essouflé. Elle se débattit et il finit par la lâcher.

- Qu'y a-t-il? demanda Lisa.

Antonio s'essuya la bouche sur sa manche sans répondre. Il regarda Sarah du coin de l'oeil. Elle n'osait pas bouger, ni même porter une main à son cou qui saignait toujours.

- C'est une sorcière, murmura Antonio.

Lisa perdit patience.

- C'est une légende! Tu peux saigner une sorcière à blanc comme les autres humains, ça ne change rien!

- Je ne l'aurais pas cru sans le voir, reprit Antonio.

- Elle peut nous détruire! s'écria Lisa.

Elle se précipita vers Sarah. Celle-ci ferma les yeux, rassembla toutes ses forces et se concentra aussi fort qu'elle le put. Elle sentit l'énergie affluer dans son corps sans savoir si c'était celle de sa magie ou du desespoir. Elle pria de toutes ses forces pour l'élancer devant elle par tous les pores de sa peau.
Lisa s'arrêta en plein élan. Elle semblait face à un mur invisible.

- Je suis trop faible.

Elle disparut dans l'escalier.

22 décembre 2006

11

Antonio tournait en rond dans son salon. Son esprit était dans la confusion la plus totale. Il ne savait plus quoi faire. Dans un accès de colère, il jeta sur le sol un ancien vase en verre soufflé provoquant des centaines d'éclairs lumineux. Et maintenant? Il tournait et retournait entre ses doigts le pentacle en argent dont la longue chaine bruissait au rythme de ses pas. Ce serait bientôt l'heure.
- Alors tu y retournes? murmura en italien une voix féline à son oreille.
Il vit deux canines acérées briller dans l'obscurité.
- Va-t-en, dit-il. Je n'aime pas qu'on rentre chez moi sans autorisation.
- Tu m'as donné ton autorisation depuis longtemps, répondit l'autre vampire. Et je reste. Je ne veux pas rater ça.

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22 décembre 2006

10

Sarah marchait vite dans les rues de Vérone. Le soleil était encore haut, mais il était trompeur. Elle n'avait pas beaucoup de temps avant le dîner. Les mots de Solène résonnaient encore à ses oreilles. Elle en avait les larmes aux yeux. Mais il ne fallait pas qu'elle pleure. Surtout pas.
Elle retrouva sans difficulté la maison d'Antonio. A sa grande surprise. La veille, lorsqu'il l'avait conduite à travers la ville, elle était en état de choc. Mais elle tourna presque mécaniquement dans la ruelle et se retrouva, sans trop savoir comment, devant la lourde porte en chêne.
Elle frappa. Doucement d'abord, puis de plus en plus fort. Pas de réponse. Sa gorge se noua. Elle frappa encore, très fort, le poing fermé. Toujours rien.
Quelle idiote! pensa-t-elle. Qu'avait-elle espéré en venant? Trouver une présence amie. Trouver du réconfort. Auprès d'une personne qu'elle connaissait à peine? C'en était risible. Elle fut presque soulagée que le propriétaire des lieux soit absent, en réalisant à quel point elle lui aurait paru pathétique. Elle n'avait aucune raison de lui faire confiance. Lui-même l'avait dit. Elle allaitse détourner de la porte lorsqu'elle voulut être sure. Elle referma sa main sur la grosse poignée ronde et la tourna. Un déclic se fit entendre et la porte s'ouvrit.
Surprise, elle lâcha précipitamment la poignée. Elle se sentit soudain dans la honteuse position du cambrioleur pris sur le fait. C'était une violation de domicile. Elle sentit son coeur s'emballer à l'idée que quelqu'un eût pu la voir, et regarda furtivement autour d'elle. Son regard se posa à nouveau sur la porte. Quelque chose la poussait à entrer. Oh, juste une minute. Pour se calmer, se rassurer, et ensuite elle partirait. Elle le dirait à Antonio le soir même, en espérant qu'il ne serait pas trop susceptible à ce sujet. Cependant, sa conscience, ses bonnes manières et sa timidité le lui interdisaient. Aussi ne comprit-elle pas quand elle se vit pousser doucement la porte et pénétrer dans le vestibule.
Elle repoussa la porte derrière elle sans la refermer totalement. Elle fit quelques pas dans l'entrée. La maison était plongée dans l'obscurité. Les épais rideaux de velours rouge étaient soigneusement tirés, aucun rayon de soleil ne pénétrait dans la pièce. Il y faisait frais, meilleur qu'à l'extérieur. Sarah s'arrêta devant la porte du salon, pour voir à nouveau l'immense miroir au-dessus de la cheminée. Elle aperçut alors quelque chose d'étrange sur le mur, qu'elle n'avait pas vu la veille. Intriguée, oubliant ses résolutions, elle traversa le salon et examina la cloison à droite de la cheminée. Se minuscules interstice dessinaient un grand rectangle. Une porte. Recouverte de la même tapisserie que le mur, elle était quasiment invisible. Une porte cachée.
Sarah posa son sac sur le sol et suivit du doigt l'interstice. Lorsqu'elle rencontra une protubérance sous la tapisserie, elle appuya. La porte s'ouvrit. Partagée entre la curiosité et une peur qui la faisait trembler de tous ses membres, elle l'ouvrit toute grande. Un escalier s'enfonçait dans les ténèbres. Une cave, peut-être. Une idée germa dans son esprit. Si Antonio était dans cette cave, il était logique qu'il ne l'ait pas entendu frapper. Alors prudemment, elle posa le pied sur la première marche, et descendit le petit escalier. Au bout d'une quinzaine de marche, elle se retrouva dans une vaste pièce qui semblait s'étendre sous toute la maison. Elle tâtonna à la recherche d'un interrupteur qu'elle ne trouva pas. Elle aperçut cependant dans une petite niche dans le mur, une grosse chandelle sur un bougeoir en bronze. Sortant son briquet de sa poche, elle l'alluma. Haute et brillante, la flamme éclaira la pièce autour d'elle. Sarah remarqua alors une dizaine d'autres niches, chacune pourvue d'une chandelle semblable. Elle n'en alluma qu'une seule autre.

Au milieu de la pièce trônait une table couverte de papiers. Un peu plus loin, sur une chaise, une palette et un pinceau semblaient avoir été abandonnés devant un chevalet sur lequel on avait posé un tableau recouvert d'un drap blanc. Un amateur d'art, se rappela-t-elle. Au fond de la pièce, opposée à l'escalier, une autre porte.

Sarah s'approcha de la table et prit une feuille de papier. Elle manqua de s'étrangler de stupeur.

C'était un dessin. Le tracé était délicat, précis, éxécuté au fusain. Le regard doux, les boucles noires encadrant le visage. C'était elle. Elle-même, là, sur la feuille de papier. Elle se fixait, comme dans un miroir figé. Elle contempla son regard rêveur, ses sourcils nets et fins. Pourquoi se trouvait-elle si belle sur ce dessin? Saisie d'une appréhension presque douloureuse, elle attrappa les autres feuilles. Des croquis, des dizaines de croquis, tous sur le même thème que le premier: elle-même. Rieuse, pensive, boudeuse... Mais qui est ce type? pensa-t-elle. L'espionnait-il ou exécutait-il ces croquis de mémoire? L'inspirait-elle? Elle se retourna. Derrière elle, le chevalet, forme claire, avec son drap blanc. Les croquis toujours à la main, elle approcha timidement du chevalet. Elle leva une main tremblante vers le drap, tira le tissu qui alla se répandre sur le sol avec un bruissement léger. Le tableau s'offrit alors à son regard. Elle comprit le but des croquis. Ils n'étaient que les brouillons de cette oeuvre sur toile qui la surplombait. Sa propre silhouette, belle et ténébreuse, esquissée sur la toile par un pinceau précis et expert. Les cheveux épars sur les épaules, cascade de boucles brunes, le teint pâle, la robe noire. Cette même robe noire du tableau du musée. Cette même robe noire de son rêve. Elle était si belle!

Elle admira la peinture quelques minutes encore, le temps que le rythme effréné de son coeur se calme. Puis elle sentit quelque chose comme de la fierté l'envahir. Il avait fait son portrait. Un portrait très flatteur, bien qu'inachevé. C'était pour elle une marque d'admiration, un compliment. Elle se sentait comme une muse. Un sourire béat sur le visage, elle contempla encore le reflet figé que lui renvoyait le tableau.

Elle se rappela soudain un détail lu dans un de ses grimoires. "Toute représentation d'une personne est un équivalent symbolique de cette personne et en tant que telle, elle confère au possesseur de cette représentation un pouvoir considérable sur la personne représenté, comme une partie d'elle, au même titre que le sang, les cheveux ou les ongles." Pourquoi ne lui avait-il pas dit qu'il la prenait pour modèle? Elle trouvait cela suspect. Elle avait appris, par son expérience de magicienne, à se méfier, à repérer les signes, mais elle ne voulait pas se monter la tête. C'était assez pervers de prendre des images d'une personne à son insu et dans toutes les situations. C'était même à la limite du fétichisme. Elle n'aimait pas cela.

Malgré sa tentative de faire taire cette paranoïa, elle ne parvenait pas à chasser ce doute. Alors, peut-être pour se rassurer, pour trouver des preuves plus concrètes, elle se replongea dans les croquis, étudiant chacun avec précision. Elle s'arrêta sur le dernier, qu'elle n'avait pas encore remarqué, et se glaça. Une terreur sans nom l'envahit, doublée d'une colère noire. Le dernier croquis la représentait elle, comme les autres, mais cette fois profondément endormie. La main reposant sur le drap, les cheveux épars sur l'oreiller. Il ne l'avait jamais vue dormir, il ne pouvait pas avoir fait ce croquis de mémoire. Un détail avait fixé son attention. Antonio avait dessiné avec la plus grande précision le haut de sa chemise de nuit. Elle pouvait clairement voir les reflets du satin, les roses entrelacées, la dentelle sur le bord. Jamais elle ne  lui avait donné l'occasion de voir dans quelle tenue elle dormait. Il l'avait bel et bien espionnée. Il était meme venu dans sa chambre pendant qu'elle dormait.

Sarah laissa tomber les feuilles de papier sur la table. Sans se soucier des chandelles allumées, elle quitta en courant le souterrain, remonta l'escalier, poussa la porte cachée pour la refermer, et travers le salon et le hall d'entrée. Elle referma avec soin la lourde porte d'entrée et prit le chemin de son hôtel. Elle marchait vite, complètement chamboulée, réprimant à grand-peine son envie de courir à nouveau.

Ce ne fut qu'en arrivant devant la porte de sa chambre d'hôtel qu'elle chercha son sac. La vision fugace du petit sac en cuir noir posé sur le sol du salon d'Antonio lui traversa l'esprit. Elle regarda sa montre. Six heures moins cinq. Trop tard pour retourner le chercher. Elle était fichue. Quand Antonio rentrerait, il verrait les chandelles allumées, les croquis en désordre. Il trouverait son sac et saurait que c'était elle qui avait fouillé dans ses affaires. Il se mettrait en colère. Elle avait mis en colère un homme qui avait tout d'un psychopathe, qui savait où elle logeait. Un homme avec qui elle avait rendez-vous le soir même.

Terrifiée, Sarah tourna la poignée et entra dans sa chambre.

22 décembre 2006

9

"Mercredi 30 avril 2003,
Ma très chère Lola,
Je dois t'avouer que j'ai de plus en plus de mal à m'intéresser à la visite de l'Italie. D'ailleurs, Solène en a un peu assez que je sois ailleurs sans arrêt, elle est allée s'asseoir à côté de quelqu'un d'autre dans le bus. Je profite un peu de son absence car je ne veux pas lui parler d'Antonio. Elle me harcèle de questions, j'ai peur qu'elle ne me juge, qu'elle veuille le connaitre et...tu sais, qu'il la trouve plus jolie que moi. Je sais, c'est stupide.
Il m'a embrassé hier. Crois-tu que je suis folle? Il est peut-être dangereux, il a frappé un garçon pour me défendre. Son appartement est très beau mais très étrange. On se croirait dans une autre époque quand on y entre. Je me demande si il y vit vraiment. Je n'aurais pas dû aller chez lui.

Je t'embrasse.

Ta cousine Sarah."

Sarah glissa la lettre dans l'enveloppe et la cacheta. Elle n'avait pas tout raconté à Lola. Son r$eve devenait de plus en plus précis. Elle en était maintenant certaine: la robe était celle du tableau. Elle était retourné le voir: il datait de 1545. L'auteur était un inconnu et la personne représentée n'était pas identifiable. Antonio en savait peut-être plus mais elle craignait d'éveiller ses soupçons en parlant de la robe. De plus, en portant ses mains à ses joues pour essuyer les larmes, elle y avait vu une énorme bague en or, comme une chevalière ou une grosse alliance. Ce symbole la rendait nerveuse.

Solène la rejoignit à la descente du bus. Elle la saisit par le bras.

- Il faut que je te parles.

- De quoi?

- Manu m'a dit qu'il avait vu ton Italien.

Sarah sentit comme un poid dans sa poitrine.

- Ah oui?

- Ne te fous pas de moi, tu étais là, non?

- Oui...

La voix de Sarah tremblait. Solène l'arrêta.

- Alors c'est vrai?

- Je n'ai pas envie d'en parler.

La journée se termina dans un ennui mortel pour Sarah. Elle avait honte de n'avoir rien dit à Solène. Elle savait que si Manu venait à parler trop, Antonio et elle risquaient d'avoir des ennuis. En remontant dans le bus, elle attrappa le bras de Solène.

- J'ai quelque chose à te raconter.

Une fois assise, Sarah relata sa visite chez Antonio.

- Tu es complètement dingue. Ce type est violent et tu le suis chez lui, seule... Je ne te reconnais plus.

- S'il n'avait rien fait, c'est Manu qui m'aurait frappée.

- Arrête de lui chercher des excuses. Tu sais bien que Manu ne t'aurait pas touchée. Il aboie plus fort qu'il ne mord.

- Pourquoi le défends-tu toujours? Parce qu'il te drague?

Solène resta interloquée. Sarah se reprit et continua.

- Il allait me frapper et Antonio a prit ma défense. Je sais que je le connais à peine, mais je sens qu'il a quelque chose de spécial. Tu te rappelles mon rêve?

- Ne change pas du sujet.

- Mon rêve se précise, et me montre la robe dans le détail. C'est la robe du tableau et ce tableau, Antonio voulait que je le voie. Il y a un lien, j'en suis sure.

Solène leva les yeux au ciel.

- Sarah, ce rêve est un cauchemar. Il peut aussi te mettre en garde, tu y as pensé? Je ne comprends pas. Pourquoi l'as-tu suivi? Tu aurais au moins pu m'appeler...

- T'appeler...

- Oui! s'écria Solène. Mais peut-être que je t'aurais gênée dans son rendez-vous galant. C'est pour ça que tu y es allée à la base, non?

Sarah n'arrivait pas à répondre.

- Je ne t'ai rien demandé, articula-t-elle enfin. Je m'en suis sortie, il me semble. Il ne m'a ni violée ni égorgée.

- Il aurait pu. Il est violent. C'est peut-être un dangereux psychopathe.

- Il a pris ma défense contre ton dangereux psychopathe de petit ami!

- Même si Manu était mon petit ami, tu le connais depuis longtemps. C'est sa parole contre celle de ton rital. Qui croira-t-on, à ton avis?

- Mais arrête! Je n'ai rien, il ne m'a rien fait!

- C'est de la folie! s'écria Solène. Je veux bien que tu perdes la tête pour un beau garçon, mais là, c'est dangereux!

- Je vais finir par le savoir.

Le bus s'arrêta devant l'hôtel. Sarah saisit son sac et s'élança dans l'allée centrale.

- Attends-moi! cria Solène.

Elle n'écouta pas. Elle voulait sortir de ce bus le plus vite possible. A peine avait-elle posé le pied sur le bitume qu'elle demanda à son professeur:

- A-t-on quartier libre jusqu'au dîner?

- Oui, mais soyez à l'heure.

L'enseignante, ainsi que Solène, et Manu depuis la fenêtre du bus, regardèrent Sarah s'éloigner du véhicule et prendre la route principale.

 

22 décembre 2006

8

Antonio posa la tasse vide dans l'évier de la cuisine. Il s'appuya au rebord du buffet, tête baissée, haletant. Que s'était-il donc passé? Elle s'était abandonnée, elle était totalement à sa merci. Pourquoi n'avait-il rien fait?
Il était décidé à goûte à son sang. Cette fille lui plaisait, et il goûtait toujours au sang des filles qui lui plaisaient. Pour voir si elles étaient aussi savoureuses que belles. En digne aristocrate, il choisissait des filles sophistiquées, bien élevées, soignées. Il aimait qu'elles soient cultivées et ouvertes d'esprit. Comme Sarah.
Il la voulait, depuis le début. C'était bien pour cela qu'il l'avait amené chez lui, non? Une passion indescriptible s'était emparé de lui lorsqu'il l'avait approchée au musée. Il savait que cette fille devait être à lui sous peu. Juste quelques gorgées. Ensuite il l'aurait laissée partir. Il ne l'aurait pas tuée, non. Elle était trop charmante pour mourir...
Mais au dernier moment, quelque chose l'avait empêché de mordre. Son aura? Il y avait quelque chose de très puissant en elle, comme un charme irrépressible.
Un bruit léger lui parvint du vestibule. Il tourna la tête. Sarah était debout devant la porte de la cuisine.
- Est-ce ça va?
Il lui adressa un sourire qu'il voulait rassurant.
- Ca va. Allons-y, ou tu vas être en retard.
Reprends-toi, se dit-il. Ne le laisse pas s'enfuir.

 

Après avoir raccompagné Sarah à son hôtel, Antonio se traita de tous les noms. Il avait été charmant avec elle sur le chemin du retour. Il lui avait même dit qu'il était désolé et qu'il voulait la revoir. Il avait tenté de se faire pardonner. Quelle faiblesse! Cette fille exerçait un pouvoir étrange. Il était bien décidé à percer son secret. Mais avant, il devait se nourrir. Il se tapit dans l'ombre d'une ruelle.

Cette fois, il ne tua pas sa victime. Après avoir effacé toute trace de sang, il reprit son pas tranquille vers sa demeure.

Dan le salon, il alluma quelques chandelles. Saisissant un livre de sa bibliothèque, il s'installa à la table, alluma une cigarette avec la flamme de la bougie et fit quelques ronds de fumée. Cette drogue des humains l'amusait beaucoup. Il ouvrit le livre. Il le lut d'une traite. Il y avait peu de solutions. Cette fille avait quelque chose de plus qu'une simple humaine. Le livre était formel: seul un très grand pouvoir pouvait détourner un vampire de sa volonté.

Il resta longtemps immobile, devant le livre fermé. Lorsque l'horloge sonna minuit, il quitta son domicile. Il avait besoin de prendre l'air.

20 décembre 2006

7

Il était presque neuf heures lorsque Sarah atteignit la rue qu'elle cherchait. Elle aperçut le mur où, la veille, elle s'était appuyée pour attendre Solène. Il était désert. Une pointe de déception. Il est encore tôt, pensa-t-elle pour se donner de l'espoir. Elle fit quelques pas et s'adossa au mur, au même endroit que la veille. Dans l'ombre. Elle leva les yeux au ciel. Il était encore clair, même si le soleil était couché.

- Hé, Sarah!

La voix la fit sursauter. C'était bien un garçon, mais pas celui qu'elle attendait. Manu vint se planter devant elle, braquant sur elle son regard bleu.

- Solène n'est pas là?

Sarah s'apprêtait à lui répondre lorsqu'elle réalisa que c'était peut-être la première fois que Manu lui parlait. Il ne lui avait même pas dit bonjour. Il était sûr de lui, méprisant. Rassemblant toute sa volonté, elle releva la tête, soutint son regard:

- Ca se voit, non?

- Où est-elle?

Quel crétin! pensa Sarah.

- Ailleurs, répondit-elle en haussant les épaules.

Elle était plutôt fière de cette réplique.

- Ne te fous pas de moi. Tu dois bien savoir où elle est.

- Non.

Ce n'était pas totalement un mensonge. Connaissant Solène, il y avait peu de chance qu'elle soit restée sagement dans sa chambre. Elle pouvait être n'importe où.

- Fais un effort, dit Manu.

Sarah vit alors un autre garçon s'avancer vers elle. Autrement plus grand et plus fort que Manu,ce qui n'était pas peu dire. Sarah comprit alors que Manu irait très loin pour obtenir ce qu'il voulait. Elle avala péniblement sa salive.

- Vous êtes toujours fourrées ensemble. Tu sais forcément où elle est.

- Je ne la suveille pas. Elle fait ce qu'elle veut et ce soir, on a décidé de faire bande à part.

Manu la saisit par les épaules et la plaqua violemment contre le mur.

- Je ne te crois pas!

Sarah sentit la tête lui tourner. Les mains de Manu lui broyaient les épaules. Elle respira à fond, et lorsque sa vision s'éclaircit, ce fut pour voir le poing de Manu se lever. Elle ferma les yeux.

- Il y a un problème?

Elle ouvrit les yeux. Antonio se tenait à quelques centimètre d'elle. Manu arborait une expression de surprise totale. Quand à l'autre garçon, il reculait, l'air épouvanté. Le regard d'Antonio était dur. Sarah avait du mal à reconnaitre le jeune homme raffiné du musée. Il lui faisait peur.

- Comment a-t-il fait ça? balbutia Manu.

- Lâche-la.

Sa voix était glaciale. Sarah vit que Manu reprenait ses esprits. Sa main se resserra un peu plus.

- Mêle-toi de ce qui te regarde, le rital.

Antonio tendit la main et attrapa le poignet de Manu. Sarah ne le vit pas faire le mondre effort, mais le visage de Manu se tordit de douleur et il finit par lâcher prise. Antonio libéra son poignet.

- Ca va? dit-il.

Sarah réalisa que c'était à elle qu'il parlait mais elle n'était pas en état de répondre. Il s'était tourné vers elle. Elle regarda brièvement par-dessus l'épaule d'Antonio, pour voir Manu lever son poing valide.

- Attention! s'étrangla-t-elle.

A une vitesse inconcevable, Antonio se retourna, puis se baissa, esquivant ainsi le poing qui passa à ving bons centimètres au-dessus de sa tête. Sarah retenait son souffle. Elle vit à peine Antonio envoyer dans l'estomac de Manu un coup qui le plia en deux. Puis il le saisit par le col et le poussa dans la rue.

- Va-t-en.

Il se tourna alors vers l'autre garçon. Sarah sentit qu'il n'allait pas s'arrêter là. Elle leva le bras vers lui et parvint à faire sortir un son de sa gorge.

- Antonio!

Il s'immobilisa et la regarda.

- Arrête, ça suffit.

Il jeta au garçon un regard qui suffit à le faire détaler. Alors, seulement il parut se calmer. Sarah fit quelques pas difficiles vers lui.

- Que voulaient-ils? demanda-t-il.

- Savoir où est Solène. C'est mon amie. Elle passe la soirée de son côté. Je n'aime pas sa façon de me parler alors je lui ai dit de se débrouiller pour la trouver. Apparemment, il n'a pas apprécié.

- Apparemment.

Sarah avait raconté d'une traite et elle reprenait conscience de son propre état. Elle tremblait.

- Je ne me sens pas très bien...

- Hé!

Ses jambes venient de se dérober et Antonio l'avait rattrappée avant qu'elle ne s'effondre.

- Tu as dû avoir très peur. Viens, tu dois te reposer.

Elle ne posa pas de questions et se laissa guider à travers les rues de Vérone. Elle reconnut quelque peu le chemin: ils prenaient la direction du musée. Mais avant de l'atteindre, Antonio tourna dans une petite ruelle. Il ouvrit une lourde porte en chêne. Il la fit entrer, referma la porte et la fit traverser un vestibule. Sarah se retrouva dans un salon luxueux. Des rideaux de velours rouges, tendus devant d'immenses fenêtres, isolaient la pièce de la rue. Une cheminée en marbre lui faisait face, surmontée d'un miroir qui montait jusqu'au plafond. Un des murs était couvert d'une bibliothèque bien garnie. Antonio la fit asseoir sur un canapé du même rouge que les rideaux. Elle déposa son sac à ses pieds et se laissa aller avec soulagement contre le dossier.

- Ca va mieux?

- Un peu.

- Tu veux boire quelque chose?

- Pourquoi pas?

Il se leva.

- Je reviens tout de suite. Fais comme chez toi.

Il s'éclipsa. Sarah se blottit contre le dossier du canapé. Elle savait qu'elle n'aurait pas dû être là. Mais elle s'en moquait. Antonio avait voulu la revoir. Il l'avait secourue. Elle avait confiance.

ll revint poser une tasse fumante sur la table basse et s'assit près d'elle. Elle ne songea même pas à demander ce qu'il lui avait apporté. Elle regarda autour d'elle.

- C'est chez vous, ici?

Il sourit.

- Tu me vouvoies encore?

Elle baissa la tête.

- Désolée.

- Ne t'excuse pas, ce n'est rien. Oui , c'est chez moi.

- Il n'y a personne? Tu vis seul?

- Oui.

- Tu ne t'ennuies pas trop?

- Non, puisque tu es là.

Elle rougit et se pencha pour prendre la tasse, éspérant qu'ainsi il ne remarquerait pas son embarras. La tasse avait refroidi. Elle la porta à ses lèvre. Il dit cela à toutes les filles qu'il ramène chez lui, pensa-t-elle. Elle avala une gorgée. C'était sucré, avec un arrière-goût de café.

- C'est quand même bizarre, dit soudain Antonio.

- Quoi donc?

- La façon dont ils t'ont attaquée. C'est lâche. Ils étaient deux.

- Ne cherche pas à comprendre.

- Ils risquent de recommencer.

- Avec la trempe que tu leur as mis, ça m'étonnerait.

- Je me suis emporté. je n'aurais pas dû les frapper.

Elle but encore une gorgée.

- Tu as raison. Tu aurais dû les laisser me tabasser. Les regarder faire.

- Je ne l'aurais jamais laissé faire cela, tu le sais bien.

- Ravie de l'apprendre.

Elle soupira et passa une main dans ses cheveux.

- Excuse-moi. Je devrais te remercier et je me défoule sur toi.

- Il t'a attaqué pour savoir où était ton amie, c'est cela? Tu es sure que c'est la seule raison?

- Avec Manu, on ne sais jamais à quoi s'attendre. Aussi loin que je me souvienne, il m'a toujours détestée. Peut-être parce que je suis plus proche de Solène que lui. Peut-être parce que j'ai de bons résultats en classe. Peut-être parce que mon activité préférée ne consiste pas à avaler un maximum de bière pour voir jusqu'où on peut tenir avant de vomir.

- Tu veux dire que tu n'es pas comme lui?

- C'est ça. A mon avis, il a juste sauté sur l'occasion.

Sarah eut alors un frisson. La vision du visage dur et fermé d'Antonio attaquant Manu lui avait traversé l'esprit.

- Tu as froid?

Avant qu'elle ait pu répondre, il passa un bras autour de ses épaules et l'attira contre lui.

- Je suis désolé, il ne fait pas très chaud ici, mais je suis rarement chez moi le soir.

Elle se sentait étrangement bien malgré un trac insupportable. Elle ferma les yeux et tenta de se détendre. Mais à nouveau, la voix dure d'Antonio résonna à ses oreilles.

- Tu trembles, fit remarquer Antonio, et à mon avis, ce n'est pas le froid.

Il baissa la voix.

- Tu ne veux pas me dire ce qui te tracasse?

Tu me fais peur, pensa-t-elle, et je suis si bien dans tes bras.

- Je suis encore secouée, murmura-t-elle. Ca va passer.

Soudain, une alarme retentit au fond de sa mémoire. Elle se redressa brusquement.

- Mon Dieu, quelle heure est-il?

-21h30, je crois, répondit-il, visiblement surpris.

Il consulta sa montre.

- Trente-cinq, rectifia-t-il.

- Je dois être à l'hôtel à 22h.

- Tu y seras, ne t'inquiète pas.

Elle sourit.

- Quand on t'écoute, tout à l'air si simple.

- Ca ne sert à rien de compliquer les choses. Il vaut mieux faire ce que l'on a envie, et quand on en a envie, sinon on peut manquer beaucoup de choses.

- Et de quoi as-tu envie?

Il tendit une main vers elle et doucement mais fermement, l'attira à lui et l'embrassa.

Prise au dépourvu, elle resta figée quelques secondes. Puis, timidement, elle noua ses bras autour de son cou. Il l'enlaça plus étroitement et, la gardant serrée contre lui, l'allongea sur le canapé. Elle entendait une petite voix dans sa tête qui lui criait: "C'est complètemnt inconscient ce que tu fais!". Elle s'en fichait. C'était trop agréable. Lorsque les lèvres d'Antonio quittèrent les siennes pour s'aventurer dans son cou, elle n'ouvrit pas les yeux. Elle frémit en sentant ses baisers contre sa gorge...

Soudain, elle sentit Antonio se raidir entre ses bras. Un bref instant, ses mains resserèrent trop leur étreinte, se firent blessantes. Puis il se détendit, et prit les poignets de Sarah, l'obligeant à le lâcher. Il se redressa un peu vivement.

- Il est temps de rentrer à l'hôtel, dit-il d'une voix distante.

Sarah ne sut comment réagir. Elle était toujours allongée sur le canapé, seule. Elle le regarda ramasser la tasse vide sur la table et quitter le salon sans un regard pour elle. Elle se redressa, rajusta sa veste. Elle se leva et aperçut son image dans le miroir au-dessus de la cheminée. Ses joues étaient rouges, ses cheveux ébourriffés. Elle respira à fond.

20 décembre 2006

6

La visite de Milan, l'après-midi, parut très longue à Sarah. D'abord parce que Solène ne cessait de lui poser des questions auxquelles elle n'avait pas envie de répondre. Sur Antonio. Ensuite, et surtout, parce qu'elle était elle-même préocuppée par le souvenir de l'Italien. Il lui tenait des propos très nébuleux, et pourtant, elle appréciait sa compagnie. Elle avait été bouleversée devant ces tableaux. Ou peut-être était-ce l'effet de la proximité d'Antonio.
Et il y avait la robe. Le rêve serait-il prémonitoire? Que voulait-il dire? Elle tenta de se concentrer sur l'architecture milanaise. Mais elle fut soulagée lorsque, vers dix-huit heures, la classe regagna le bus.

"Mardi 29 avril,
Ma très chère Lola,
Enfin je trouve un moment pour t'écrire. Le programme est tellement chargé que j'ai à peine le temps de souffler.
Comment vas-tu? Je suis à Vérone pour trois nuits. Nous dormons dans un charmant petit hôtel, je partage ma chambre avec Solène. L'Italie est très agréable, même si j'ai du mal à m'habituer à la langue.Il fait déjà très chaud, la nuit surtout.
J'ai rencontré un garçon. En fait, je ne sais pas quel âge il a. Hier, dans la rue. Il s'appelle Antonio. Il parle Français (heureusement!). Il a dit que nous étions destinés à nous rencontrer. Il dit beaucoup de choses assez étranges. Que la lumière me va mieux que l'ombre, que mon nom me va bien, que je pense trop aux autres. C'est troublant. Il m'a montré deux tableaux au musée. J'aime sa façon de me parler. Il ne m'a pas demandé mon âge. Il parle avec beaucoup de délicatesse.
Solène est bizarre. Elle me demande de lui en parler, de lui donner des détails. Et lorsque je lui dis qu'il se conduit en gentleman, elle me dit de me méfier et en fait le diable en personne. J'ai l'impression qu'elle est jalouse. Elle pensait m'être indispensable parce qu'elle parle italien mais j'ai rencontré quelqu'un sans elle. Et elle ne connait pas Antonio. C'est toujours elle qui attire les garçons. Celui-ci, je veux le garder pour moi.
Je t'embrasse fort. Je t'enverrai bientôt une autre lettre.
Ta cousine Sarah."

 

Au dîner, Sarah tenta de se concentrer sur les pâtes dans son assiette, mais elle avait un noeud à l'estomac.

- Tu es sure que ça va? demanda Solène.

- Oui, ça va, je n'ai pas faim, c'est tout.

Solène posa sa fourchette. Elle cherchait son regard. Sarah jouait négligemment avec sa serviette.

- Quelque chose te préoccuppe? demanda doucement Solène.

Le visage d'Antonio traversa brusquement l'esprit de Sarah. Elle repensa au trouble dans lequel il la plongeait, à toutes les sensations qui s'étaient éveillées lorsqu'elle avait regardé les tableaux. Elle repensa à la lettre à Lola, à la robe du tableau. Elle pensa enfin à l'espoir qu'elle nourrissait de revoir l'Italien dans les rues de Vérone, comme la veille. Alors, sans regarder Solène, elle répondit:

- Non. Il n'y a rien.

Elle se leva de table parmi les premiers et rejoignit rapidement sa chambre. Lorsque Solène entra, elle était en train de fouiller dans sa valise. Elle s'était changée. Elle empoigna un long gilet noir et l'enfila.

- Que fais-tu? demanda Solène.

- Je peux t'emprunter tes sandales? répondit Sarah, ignorant sa question.

- Seulement si tu me dis pour qui tu te fais belle.

- A ton avis?

Elle fit face à son amie en accrochant ses boucles d'oreilles.

- Je n'ai pas envie d'afficher le look "touriste" si je le revois ce soir.

- Antonio? s'étonna Solène. Mais tu n'avais pas le look "touriste" quand tu l'as vu, si?

- Bon, tu me les prètes ou pas, ces chaussures?

Solène se dirigea vers sa valise et en tira des sandales noires à talons hauts.

- Tu veux lui plaire, c'est ça?

- Peut-être. Je veux surtout être à sa hauteur.

Solène sourit et regarda Sarah enfiler les sandales.

- Alors vous avez rendez-vous?

- Pas vraiment.

- Alors comment sais-tu qu'il sera là?

- Je n'en sais rien. Mais s'il a envie de me revoir, il sera au même endroit qu'hier.

- Et s'il n'y est pas?

- Je reviendrai à l'hôtel.

- Tu veux que je t'accompagne? Je n'aime pas l'idée que tu attendes seule la nuit, s'il n'est pas encore là.

- Ca va aller. Va t'amuser avec les autres.

Solène fit une moue boudeuse.

- J'ai la nette impression que tu veux te débarrasser de moi

- Non, voyons. C'est juste que si je le vois...

- Tu ne veux pas de moi dans tes jambes. Avoue, il te plaît! Ecoute, je garderai mon portable avec moi. Si ça ne se passe pas comme tu veux, tu m'appelles, d'accord?

- Entendu.

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