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Roméo ne mourra jamais
Roméo ne mourra jamais
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20 décembre 2006

7

Il était presque neuf heures lorsque Sarah atteignit la rue qu'elle cherchait. Elle aperçut le mur où, la veille, elle s'était appuyée pour attendre Solène. Il était désert. Une pointe de déception. Il est encore tôt, pensa-t-elle pour se donner de l'espoir. Elle fit quelques pas et s'adossa au mur, au même endroit que la veille. Dans l'ombre. Elle leva les yeux au ciel. Il était encore clair, même si le soleil était couché.

- Hé, Sarah!

La voix la fit sursauter. C'était bien un garçon, mais pas celui qu'elle attendait. Manu vint se planter devant elle, braquant sur elle son regard bleu.

- Solène n'est pas là?

Sarah s'apprêtait à lui répondre lorsqu'elle réalisa que c'était peut-être la première fois que Manu lui parlait. Il ne lui avait même pas dit bonjour. Il était sûr de lui, méprisant. Rassemblant toute sa volonté, elle releva la tête, soutint son regard:

- Ca se voit, non?

- Où est-elle?

Quel crétin! pensa Sarah.

- Ailleurs, répondit-elle en haussant les épaules.

Elle était plutôt fière de cette réplique.

- Ne te fous pas de moi. Tu dois bien savoir où elle est.

- Non.

Ce n'était pas totalement un mensonge. Connaissant Solène, il y avait peu de chance qu'elle soit restée sagement dans sa chambre. Elle pouvait être n'importe où.

- Fais un effort, dit Manu.

Sarah vit alors un autre garçon s'avancer vers elle. Autrement plus grand et plus fort que Manu,ce qui n'était pas peu dire. Sarah comprit alors que Manu irait très loin pour obtenir ce qu'il voulait. Elle avala péniblement sa salive.

- Vous êtes toujours fourrées ensemble. Tu sais forcément où elle est.

- Je ne la suveille pas. Elle fait ce qu'elle veut et ce soir, on a décidé de faire bande à part.

Manu la saisit par les épaules et la plaqua violemment contre le mur.

- Je ne te crois pas!

Sarah sentit la tête lui tourner. Les mains de Manu lui broyaient les épaules. Elle respira à fond, et lorsque sa vision s'éclaircit, ce fut pour voir le poing de Manu se lever. Elle ferma les yeux.

- Il y a un problème?

Elle ouvrit les yeux. Antonio se tenait à quelques centimètre d'elle. Manu arborait une expression de surprise totale. Quand à l'autre garçon, il reculait, l'air épouvanté. Le regard d'Antonio était dur. Sarah avait du mal à reconnaitre le jeune homme raffiné du musée. Il lui faisait peur.

- Comment a-t-il fait ça? balbutia Manu.

- Lâche-la.

Sa voix était glaciale. Sarah vit que Manu reprenait ses esprits. Sa main se resserra un peu plus.

- Mêle-toi de ce qui te regarde, le rital.

Antonio tendit la main et attrapa le poignet de Manu. Sarah ne le vit pas faire le mondre effort, mais le visage de Manu se tordit de douleur et il finit par lâcher prise. Antonio libéra son poignet.

- Ca va? dit-il.

Sarah réalisa que c'était à elle qu'il parlait mais elle n'était pas en état de répondre. Il s'était tourné vers elle. Elle regarda brièvement par-dessus l'épaule d'Antonio, pour voir Manu lever son poing valide.

- Attention! s'étrangla-t-elle.

A une vitesse inconcevable, Antonio se retourna, puis se baissa, esquivant ainsi le poing qui passa à ving bons centimètres au-dessus de sa tête. Sarah retenait son souffle. Elle vit à peine Antonio envoyer dans l'estomac de Manu un coup qui le plia en deux. Puis il le saisit par le col et le poussa dans la rue.

- Va-t-en.

Il se tourna alors vers l'autre garçon. Sarah sentit qu'il n'allait pas s'arrêter là. Elle leva le bras vers lui et parvint à faire sortir un son de sa gorge.

- Antonio!

Il s'immobilisa et la regarda.

- Arrête, ça suffit.

Il jeta au garçon un regard qui suffit à le faire détaler. Alors, seulement il parut se calmer. Sarah fit quelques pas difficiles vers lui.

- Que voulaient-ils? demanda-t-il.

- Savoir où est Solène. C'est mon amie. Elle passe la soirée de son côté. Je n'aime pas sa façon de me parler alors je lui ai dit de se débrouiller pour la trouver. Apparemment, il n'a pas apprécié.

- Apparemment.

Sarah avait raconté d'une traite et elle reprenait conscience de son propre état. Elle tremblait.

- Je ne me sens pas très bien...

- Hé!

Ses jambes venient de se dérober et Antonio l'avait rattrappée avant qu'elle ne s'effondre.

- Tu as dû avoir très peur. Viens, tu dois te reposer.

Elle ne posa pas de questions et se laissa guider à travers les rues de Vérone. Elle reconnut quelque peu le chemin: ils prenaient la direction du musée. Mais avant de l'atteindre, Antonio tourna dans une petite ruelle. Il ouvrit une lourde porte en chêne. Il la fit entrer, referma la porte et la fit traverser un vestibule. Sarah se retrouva dans un salon luxueux. Des rideaux de velours rouges, tendus devant d'immenses fenêtres, isolaient la pièce de la rue. Une cheminée en marbre lui faisait face, surmontée d'un miroir qui montait jusqu'au plafond. Un des murs était couvert d'une bibliothèque bien garnie. Antonio la fit asseoir sur un canapé du même rouge que les rideaux. Elle déposa son sac à ses pieds et se laissa aller avec soulagement contre le dossier.

- Ca va mieux?

- Un peu.

- Tu veux boire quelque chose?

- Pourquoi pas?

Il se leva.

- Je reviens tout de suite. Fais comme chez toi.

Il s'éclipsa. Sarah se blottit contre le dossier du canapé. Elle savait qu'elle n'aurait pas dû être là. Mais elle s'en moquait. Antonio avait voulu la revoir. Il l'avait secourue. Elle avait confiance.

ll revint poser une tasse fumante sur la table basse et s'assit près d'elle. Elle ne songea même pas à demander ce qu'il lui avait apporté. Elle regarda autour d'elle.

- C'est chez vous, ici?

Il sourit.

- Tu me vouvoies encore?

Elle baissa la tête.

- Désolée.

- Ne t'excuse pas, ce n'est rien. Oui , c'est chez moi.

- Il n'y a personne? Tu vis seul?

- Oui.

- Tu ne t'ennuies pas trop?

- Non, puisque tu es là.

Elle rougit et se pencha pour prendre la tasse, éspérant qu'ainsi il ne remarquerait pas son embarras. La tasse avait refroidi. Elle la porta à ses lèvre. Il dit cela à toutes les filles qu'il ramène chez lui, pensa-t-elle. Elle avala une gorgée. C'était sucré, avec un arrière-goût de café.

- C'est quand même bizarre, dit soudain Antonio.

- Quoi donc?

- La façon dont ils t'ont attaquée. C'est lâche. Ils étaient deux.

- Ne cherche pas à comprendre.

- Ils risquent de recommencer.

- Avec la trempe que tu leur as mis, ça m'étonnerait.

- Je me suis emporté. je n'aurais pas dû les frapper.

Elle but encore une gorgée.

- Tu as raison. Tu aurais dû les laisser me tabasser. Les regarder faire.

- Je ne l'aurais jamais laissé faire cela, tu le sais bien.

- Ravie de l'apprendre.

Elle soupira et passa une main dans ses cheveux.

- Excuse-moi. Je devrais te remercier et je me défoule sur toi.

- Il t'a attaqué pour savoir où était ton amie, c'est cela? Tu es sure que c'est la seule raison?

- Avec Manu, on ne sais jamais à quoi s'attendre. Aussi loin que je me souvienne, il m'a toujours détestée. Peut-être parce que je suis plus proche de Solène que lui. Peut-être parce que j'ai de bons résultats en classe. Peut-être parce que mon activité préférée ne consiste pas à avaler un maximum de bière pour voir jusqu'où on peut tenir avant de vomir.

- Tu veux dire que tu n'es pas comme lui?

- C'est ça. A mon avis, il a juste sauté sur l'occasion.

Sarah eut alors un frisson. La vision du visage dur et fermé d'Antonio attaquant Manu lui avait traversé l'esprit.

- Tu as froid?

Avant qu'elle ait pu répondre, il passa un bras autour de ses épaules et l'attira contre lui.

- Je suis désolé, il ne fait pas très chaud ici, mais je suis rarement chez moi le soir.

Elle se sentait étrangement bien malgré un trac insupportable. Elle ferma les yeux et tenta de se détendre. Mais à nouveau, la voix dure d'Antonio résonna à ses oreilles.

- Tu trembles, fit remarquer Antonio, et à mon avis, ce n'est pas le froid.

Il baissa la voix.

- Tu ne veux pas me dire ce qui te tracasse?

Tu me fais peur, pensa-t-elle, et je suis si bien dans tes bras.

- Je suis encore secouée, murmura-t-elle. Ca va passer.

Soudain, une alarme retentit au fond de sa mémoire. Elle se redressa brusquement.

- Mon Dieu, quelle heure est-il?

-21h30, je crois, répondit-il, visiblement surpris.

Il consulta sa montre.

- Trente-cinq, rectifia-t-il.

- Je dois être à l'hôtel à 22h.

- Tu y seras, ne t'inquiète pas.

Elle sourit.

- Quand on t'écoute, tout à l'air si simple.

- Ca ne sert à rien de compliquer les choses. Il vaut mieux faire ce que l'on a envie, et quand on en a envie, sinon on peut manquer beaucoup de choses.

- Et de quoi as-tu envie?

Il tendit une main vers elle et doucement mais fermement, l'attira à lui et l'embrassa.

Prise au dépourvu, elle resta figée quelques secondes. Puis, timidement, elle noua ses bras autour de son cou. Il l'enlaça plus étroitement et, la gardant serrée contre lui, l'allongea sur le canapé. Elle entendait une petite voix dans sa tête qui lui criait: "C'est complètemnt inconscient ce que tu fais!". Elle s'en fichait. C'était trop agréable. Lorsque les lèvres d'Antonio quittèrent les siennes pour s'aventurer dans son cou, elle n'ouvrit pas les yeux. Elle frémit en sentant ses baisers contre sa gorge...

Soudain, elle sentit Antonio se raidir entre ses bras. Un bref instant, ses mains resserèrent trop leur étreinte, se firent blessantes. Puis il se détendit, et prit les poignets de Sarah, l'obligeant à le lâcher. Il se redressa un peu vivement.

- Il est temps de rentrer à l'hôtel, dit-il d'une voix distante.

Sarah ne sut comment réagir. Elle était toujours allongée sur le canapé, seule. Elle le regarda ramasser la tasse vide sur la table et quitter le salon sans un regard pour elle. Elle se redressa, rajusta sa veste. Elle se leva et aperçut son image dans le miroir au-dessus de la cheminée. Ses joues étaient rouges, ses cheveux ébourriffés. Elle respira à fond.

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